A l’occasion de la signature ce 12 février par le Ministre Didier Reynders, Vice-Premier Ministre, Ministre des Affaires étrangères et européennes et Ministre de la Défense, d’un engagement d’un montant de deux millions d’euros en faveur de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (+ d’info sur https://diplomatie.belgium.be/fr/newsroom/nouvelles/2019/lutte_contre_corruption_liee_aux_crimes_contre_faune_sauvage_et_forets ), François-Xavier de Donnea a prononcé le discours suivant :
DISCOURS PRONONCE AU PALAIS D’EGMONT LE 12 FEVRIER 2019 A L’OCCASION DE LA SIGNATURE PAR M. REYNDERS, VICE-PREMIER MINISTRE, DE L’ENGAGEMENT DE LA BELGIQUE AU FONDS « COMBATTING CORRUPTION AND WILDLIFE IN AFRICA » DE L’OFFICE DES NATIONS UNIES CONTRE LA DROGUE ET LE CRIME (UNODC).
Excellences,
Mesdames et Messieurs,
Permettez-moi de saluer l’engagement de la Belgique, pris sous l’impulsion de son vice-premier ministre Monsieur Didier Reynders, de faire une importante contribution au Fonds « Combatting Corruption linked to Wildlife and Forest Crime in Africa ».
La préservation des forêts africaines est non seulement un enjeu majeur pour les populations autochtones, mais aussi pour l’ensemble de l’humanité. Leur dégradation profonde ou leur disparition provoquerait des changements climatiques affectant tous les continents. Leur biodiversité, patrimoine précieux de l’humanité, serait gravement affectée. De nombreuses espèces animales n’existeraient plus que dans des zoos ou à l’état de fossiles. Les générations présentes vont-elles tolérer l’apparition de « dinosaures du XXIème siècle » ? Les générations suivantes nous le reprocheraient vivement.
Il est encore temps de sauver ce patrimoine unique, mais il est moins cinq…
La pauvreté de bien des populations autochtones, la pression démographique, les changements climatiques, la mauvaise gouvernance, la corruption et la cupidité de trafiquants internationaux d’espèces protégées et de bois précieux font peser des menaces de plus en plus graves et imminentes sur les forêts africaines.
Selon des estimations récentes du WWF, 12 millions d’hectares de forêts pourraient avoir disparu entre 2010 et 2030 dans les forêts du Bassin du Congo. Soit quatre fois la superficie de la Belgique !
Depuis quelques décennies le braconnage d’éléphants, de rhinocéros, de pangolins et d’autres espèces protégées se pratique à l’échelle industrielle avec des armes de guerre, voir des hélicoptères. On est loin du braconnage artisanal visant à se fournir en viande de brousse.
En 1960, le parc de la Garamba, situé en Haut-Uele en RDC, comptait quelques 20.000 éléphants, des centaines de rhinocéros et de girafes. Aujourd’hui il y reste environ 1300 éléphants et 48 girafes. Les deux derniers rhinos ont été exterminés voici une douzaine d’années.
En 2012, dans le parc de Bouba Njida au Nord-Ouest du Cameroun, près de 500 éléphants, sont tombés sous les balles de dizaines de braconniers soudanais et tchadiens, équipés d’armes de guerre automatiques, opérant en groupe organisé et progressant à cheval.
Revenus en janvier 2018, les braconniers soudanais y tuèrent 6 membres des forces spéciales camerounaises et deux gardes.
Entre 2002 et 2010, 4.000 éléphants furent braconnés dans le parc de Zakouma au Tchad, soit 95 % de son cheptel.
Au parc des Virunga au Nord-Kivu quelques 22.000 hippopotames ont été abattus pendant la guerre civile de 1997 à 2002. Les éléphants y ont disparu des plaines de la Rwindi, où ils se comptaient par centaines auparavant.
Je ne vais pas prolonger cette litanie funèbre qui concerne aussi de nombreuses autres aires protégées africaines.
Heureusement, ces braconnages industriels et transfrontaliers ne sont pas une fatalité. La reprise en main de certains parcs, dans le cadre de partenariats publics-privés, à permis d’enrayer la machine mortifère. Zakouma n’a plus perdu que 24 éléphants par braconnage depuis 2010. Il n’en a perdu aucun ces deux dernières années. Le cheptel y est remonté d’environ 200 à quelques 600 éléphants. Le parc de la Garamba n’a plus perdu que deux éléphants l’an dernier. Les éléphants repeuplent actuellement la vallée de l’Ishasha dans le parc des Virunga à la frontière avec le Queen Elisabeth National Park. Les gorilles de montagne de la chaine des Virunga ont échappé à l’extinction.
Néanmoins, deux défis énormes et complexes sont à relever par les responsables des aires naturelles en Afrique.
Les braconnages « industriels » sont de plus en plus le fait de groupes armés transfrontaliers, se déplaçant sur des distances énormes. Des bandits soudanais opèrent jusqu’au Cameroun et le Nord de la RDC en passant par le Centrafrique et le Tchad. Des pasteurs transhumants armés descendent du Sahel, sous la pression des changements climatiques et de la croissance démographuque qui y réduisent les pâturages. Ils vont jusqu’aux provinces du Bas et du Haut-Uele au Nord de la RDC . Ils s’y livrent aussi au braconnage. La coopération sous-régionale et transfrontalière est donc devenue une condition sine qua non de la lutte efficace contre ces groupes mobiles. Ce fut le thème central de la Conférence que le Partenariat pour les Forêts du Bassin du Congo a organisé du 23 au 25 janvier dernier à N’Djamena.
Par ailleurs, les prix pharamineux de l’ivoire et de la corne de rhinocéros sur les marchés de consommation permettent aux trafiquants de corrompre tant de hauts responsables politiques et administratifs, que des membres des forces de l’ordre, de la justice, des douanes et des petits acteurs de terrain. Un kilo d’ivoire vaut un kilo d’or, soit environ 40.000 dollars. Un kilo de corne de rhino vaut près de 60.000 dollars !
Mais la corruption n’est pas non plus une fatalité en Afrique. Des exemples édifiants d’intégrité d’éco-gardes en témoignent. Ainsi, lorsque l’an dernier des éco-gardes camerounais arrêtèrent un colonel de gendarmerie avec des dizaines de pointes d’ivoire dans son véhicule, ils refusèrent le pot de vin proposé par le colonel pour sa libération et le livrèrent à la justice. Autre exemple, un officier supérieur des éco-gardes du Parc de la Virunga refusa des pots de vin offerts par la société pétrolière SOCO. Il accepta de témoigner contre elle. Il joua ainsi un rôle majeur dans la déroute de SOCO au parc des Virunga.
La lutte contre la corruption liée à la criminalité faunique et forestière est donc essentielle pour préserver la flore et la faune africaine. Mais la corruption est une pieuvre aux tentacules multiples. La question se pose de savoir par quelle tentacule la saisir pour la combattre efficacement.
Une priorité est de donner aux appareils policiers et judiciaires la capacité de poursuivre et de sanctionner effectivement les trafiquants corrupteurs actifs et les corrompus de tous poils.
Dans certains pays les tribunaux manquent parfois des moyens matériels requis pour organiser les procès des criminels fauniques et forestiers qui leurs sont remis par les autorités des aires naturelles protégées. Celles-ci doivent alors couvrir les frais des procès pour qu’ils aient bien lieu. Ceci peut toutefois conduire à des dérives malsaines évidentes…
Mais, il faut aussi trouver le moyen de mettre les magistrats, policiers, douaniers et éco-gardes à l’abri des tentations. S’ils reçoivent des salaires de misère ou médiocres, ils seront très vulnérables aux chants de sirène des braconniers et trafiquants.
Est-il concevable de créer dans certains pays africains des corps de policiers et de magistrats, voir de douaniers, correctement rémunérés et spécialisés dans la lutte contre la criminalité faunique et forestière, tant au niveau du braconnage et du trafic, que de la corruption connexe ? C’est sans doute une des pistes à explorer par la UNODC.
Mais il est en général plus facile d’attraper les lampistes du braconnage que leurs parrains et commanditaires, parfois très haut placés dans la hiérarchie de l’Etat. Les braconniers qui attaquèrent en 2012 la réserve de faune à okapis d’Epulu en RDC, y massacrant gardes et animaux, travaillaient, selon certaines sources bien informées, pour un général des FARDC basé à Kisangani.
Pour neutraliser et punir des personnalités haut placées corrompues, complices ou acteurs de criminalité faunique et forestière, il est indispensable de pouvoir compter sur la collaboration du chef de l’Etat. C’est déjà le cas dans plusieurs pays africains, mais pas encore partout. S’assurer de la collaboration volontariste des chefs d’Etat pour sanctionner les corrompus : voici un autre défi à relever par la UNODC.
Enfin, dans la mesure où le braconnage est de plus en plus organisé à l’échelle transfrontalière et sous-régionale, il faut susciter des coopérations judiciaires transfrontalières. Je pense notamment à une coopération judiciaire RDC-Ouganda, dans le cadre de la « Greater Virunga Transboundary Collaboration ». Je pense aussi à une coopération judiciaire Cameroun-Tchad dans la région des parcs contigus de Bouba Njida (Cameroun) et Sene Oura (Tchad). Le Président Déby du Tchad m’a dit qu’il n’est plus possible de gérer le parc de Sene Oura sans un accord de coopération avec le Cameroun. Il est en gestation, mais non encore conclu. Un accord de coopération judiciaire RDC-Sud Soudan concernant les parcs contigus de la Garamba et de Lantoto, complèterait utilement l’accord de lutte anti-braconnage que les délégations des deux pays présentes à N’Djamena fin janvier ont décidé de conclure. La contribution de la Belgique au Fonds de la UNODC est donc importante. Elle vient à son heure.
Je souhaite bon vent à la UNODC. Elle a bien du pain sur la planche !